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SATT : la valorisation de la recherche publique au profit de qui ?
La valorisation de la recherche publique...
Le gouvernement a décidé, dans la continuité logique de la loi LRU et des réformes engagées depuis une dizaine d’années dans le financement de la recherche, d’impulser le développement de la valorisation de la recherche publique. Il a donc annoncé la décision de mutualiser et d’améliorer les dispositifs de valorisation de la recherche, dans le cadre de Plan d’Investissements d’Avenir, par la création de Sociétés Accélératrices de Transferts de Technologie (SATT) afin de mutualiser les dispositifs et de clarifier le système de valorisation de la recherche. Lorsqu’on se place dans cette logique de valorisation, cela semble être une décision de bon sens.
En effet, la situation actuelle de la valorisation de la recherche dans les universités et organismes donne l’impression d’un système peu lisible, constitué d’une nébuleuse de structures para-publiques, co-financées par divers organismes publics ou privés, et des collectivités territoriales. [1]
Seulement, rien ne garantit que la création de SATT va forcément faire disparaître la nébuleuse, en dehors des structures propres aux universités qui seront dissoutes pour transférer leurs activités à la SATT. D’après le document ministériel d’appel à projets SATT, il s’agit en fait d’une "sur-couche" ayant vocation à travailler "au dessus" des universités et PRES, qui en seront actionnaires, de même que l’Etat (par l’intermédiaire de la Caisse des Dépôts et Consignations) et les organismes de recherche. Les collectivités territoriales ne feront pas partie des actionnaires "es qualité". On peut imaginer que les conseils régionaux ou généraux auront à coeur de travailler avec ces SATT qui seront des structures à capitaux publics, mais rien ne l’oblige. Et évidemment, les structures de valorisation liées au privé (chambres de commerce, établissements d’enseignement supérieur privés, etc...) ne sont pas directement concernées par le projet, sauf rattachement au PRES à leur demande.
D’autre part, les études sur la recherche en France le soulignent régulièrement, la R et D dans les entreprises française est insuffisamment développée par rapport à d’autres pays jugés "plus performants" dans l’innovation. Le crédit impôt recherche qui coûte extrêmement cher à l’état français n’a pas montré un impact significatif sur ce défaut, bien qu’il bénéficie pour l’essentiel à quelques grands groupes, comme le souligne un récent rapport de la Cour des Comptes. Avec la création de SATT, qui s’occuperont également de détection de contrats de recherche avec le privé pour les laboratoires publics (c’est annoncé dans les objectifs), on crée une nouvelle incitation pour les entreprises à externaliser leur recherche pour faire baisser les coûts, puisqu’il y a des fonds publics qui viendront en appui...
Une autre chose qui semble claire, c’est que la création de ces SATT va éloigner encore plus des CA des universités la possibilité de demander des comptes sur la valorisation de la recherche...
mais sur le modèle du privé...
En effet, le choix du statut de société par action simplifiée (SAS) pour les SATT n’est probablement pas anodin . Il permet de se dégager des obligations de transparence financière qui sont (en principe) celles des structures publiques. Remarquons au passage que c’est le statut privilégié par les holdings et LBO, pour sa grande souplesse, et qu’il interdit la publication des revenus de leurs dirigeants, donc induit forcément une limite dans la transparence de la comptabilité !
Il implique le passage au modèle de fonctionnement du secteur commercial, et la rentabilité exigée.
Quelles implications cela va-t’il créer dans le choix des thématiques de recherche des universités et organismes associés dans ces SATT ? Il est clair qu’il faudra à tout prix favoriser les secteurs susceptibles de conduire aux brevets les plus "juteux". On peut légitimement se poser la question de savoir comment vont influer sur ces choix les sociétés privées entendant développer les marchés des OGM, ou des nanotechnologies, par exemple. Et comment ces choix nuiront au développement de la recherche sur des thématiques "non rentables"...
Il faudra également vendre "au prix du marché" des prestations aux Universités pour lesquelles la valorisation-transfert est devenu un indicateur de performance, conditionnant l’attribution de crédits [2], et qui seront donc forcées de recourir aux services des SATT. Autrement dit, une part des contrats de recherche des laboratoires - au moins égale à celle actuellement prélevée par les universités - servira au fonctionnement de la SATT dont ils relèvent. Et, bien qu’elle soit en principe optionnellement transférée à la SATT (sur décision des universités ou organismes), il y a fort à parier que la gestion des contrats de recherche soit effectuée par la SATT, puisque l’activité de prestation doit être rapidement rentable, et que les actionnaires doivent faire en sorte qu’elle puisse l’être dans le plan d’activité présenté avec la candidature à la SATT...
Une certification des comptes des SATT par un commissaire aux comptes est prévue dans les statuts types imposés par le ministère dans les critères de recevabilité des dossiers : c’est bien sûr une forme de garantie contre les malversations financières, qui comporte également un coût non négligeable. Et le résultat de cette certification financière des comptes risque fort de rester le secret du CA de la SATT, puisqu’il n’est pas possible de rendre publiques les rémunérations de ses dirigeants...
Bien qu’il y ait des économies d’échelles possibles par la mutualisation des dispositifs de valorisation des universités et organismes, il n’est donc pas garanti que celles-ci ne soient pas annihilées par les frais de fonctionnement d’une structure qui devra rémunérer des commerciaux et dirigeants "au prix du marché"... Il n’est plus question désormais que les responsables des SATT soient des fonctionnaires, payés comme tels, comme pouvaient l’être certains responsables et personnels des SAIC (Service d’Activités Industrielles et Commerciales) au sein des universités !
Et la certification des comptes n’apporte pas de garanties sur l’absence de conflits d’intérêts dans l’attribution des financements ou droits d’exploitation. En dessous d’un certain montant, c’est le président de la SATT qui attribue ou non les financements aux projets de valorisation soumis, après avis d’un comité "composé d’experts [3] nommés intuitu personae par le conseil
d’administration de la SATT sur proposition du président". Au-dessus de ce montant, c’est le CA de la SATT qui décide. Mais si on ajoute à cela que les membres du conseil d’administration ne sont pas responsables devant la justice des irrégularités qui peuvent être découvertes (seul le président l’est), il y a fort à craindre que les membres du CA votent assez aveuglément selon les propositions du président. Quelle garantie a-t’on alors, par exemple, que les droits d’exploitation de brevets concédés à des sociétés commerciales ne seront pas sous-estimés parce qu’elles seraient liées d’une manière ou d’une autre au président ou aux experts proposés par celui-ci ? Ou que les financements apportés à des projets de maturation ou d’incubation ne seront pas sur-estimés pour favoriser des porteurs de projets proches de la direction de la SATT ? Et les statuts-type de SATT imposés par le ministère n’abordent absolument pas ces questions. L’actualité française fourmille hélas de suffisamment d’exemples de liaisons malsaines entre des sociétés privées et des responsables de la chose publique pour que cette crainte ne semble pas totalement infondée !
La concurrence, clef de la docilité
Les points communs à tous les appels à projet des dernières années (Plan Campus, Initiatives d’excellence, Labex, Equipex, SATT...).sont
le mantra de l’excellence
le peu de délai imparti pour le dépôt des projets, qui favorise bien sûr les plus avancés dans les secteurs visés [4]
la stricte limitation annoncée du nombre d’heureux élus, poussant les porteurs de projets à accepter toutes les conditions imposées pour garder une chance d’obtenir un des "merveilleux lots" annoncés.
Pour être dans les meilleurs, il faudra donc tout accepter des exigences du ministère. Et si celles-ci poussent dans le cas des SATT à n’être pas trop regardants sur la transparence et les garde-fou contre les conflits d’intérêt, on n’y regardera surtout pas de trop près !
D’autre part, en ce qui concerne les SATT, la dizaine de SATT aura vocation par la suite à s’occuper de toute la valorisation de la recherche publique sur l’ensemble du territoire. D’où, pour ceux qui sauront s’en saisir, des possibilités considérables de peser sur les orientations de la recherche française, en dehors de tout contrôle public ou presque, et de toute considération éthique, balayée au nom de la rentabilité de ces sociétés...
Voudrait-on organiser un système pour permettre à quelques "happy few" de profiter largement des deniers publics au nom de la performance de la recherche française qu’on ne s’y prendrait peut-être pas autrement !
[1] Ainsi, dans le Nord-Pas de Calais, on peut citer comme structures intervenant dans cette valorisation sources : documents CS de Lille1 du 2 avril 2010
- incubateur Cré’Innov (Lille1, créé en 2001) pour accompagner les créateurs d’entreprises innovantes
- Service d’Activités Industrielles et Commerciales (SAIC) de Lille1 (créé en 2004)
- Le dispositif de mutualisation CAPVALO entre les universités Lille1, Lille2 et Lille3, l’Institut Pasteur et le CHU pour accompagner l’émergence de projets
- La plateforme régionale de l’innovation et de la valorisation (J’innove) dont l’animation a été confiée récemment à NFID (Nord de France Innovation Développement, ex Réseau de Développement Technologique) association ? ou société ? apparemment dépendant à la fois de OSEO, du Conseil Régional NPdC, du Conseil Général du Nord, du FEDER...
- TLM (Technopole Lille Métropole, ex CIEL ?) avec ses cinq programmes : Digiport pour les TIC, CIEL pour l’Innovation Technologique, Euratechnologies, Haute Borne Développement et Plaine Image pour l’animation des 3 parcs technologiques et d’incubation.
- Eurasanté pour l’animation d’un parc technologique et l’accompagnement du secteur de la santé/nutrition.
- CITC – EuraRfID pour l’usage des technologies sans contacts
- Les 6 pôles de compétitivité
- Les pôles d’excellences
- Les pôles professionnels.
- Les Incubateurs, MITI, EURASANTE
- Les pré-incubateurs Cré’Innov, GENI (Apui, Innotex, Centre F. Kulhmann), Euratechnologies,...
- Les structures d’appui des chambres de commerce
- le dispositif PRES Valo en gestation au printemps 2010
- liste probablement non exhaustive...
[2] (ministériels, mais pas seulement, les autres financeurs utilisant également ces mêmes indicateurs, selon le bon principe bien connu des banquiers qu’on ne prête qu’aux riches)
[3] question subsidiaire : à quel tarif faudra-t’il rémunérer leurs avis ?
[4] En ce qui concerne les SATT, il y a à peine 6 mois pour boucler les dossiers de candidature pour le premier appel, entre la parution au 30 juillet 2010 de l’appel à projets, le dépôt des premiers documents de candidature au 15 décembre, et le dépôt du dossier définitif de candidature (avec les statuts de la société) au 31 janvier 2011.
Le 30 juillet 2010, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) a publié un
appel à projets destiné à sélectionner un nombre très limité de sociétés
d’accélération du transfert de technologies (SATT) (6 dans un premier temps, puis dans un deuxième temps, quelques projets supplémentaires, pour arriver à un total d’environ une dizaine de SATT, qui auront ensuite vocation à s’occuper de la valorisation de l’ensemble de la recherche publique).
Les projets proposés doivent être déposés sous forme électronique (documents de soumission téléchargeables) impérativement avant le 15 décembre 2010 à 13h00 (NDLR : y compris projets de statuts, dans lesquels figure le nom du premier président (nommé donc sans délibération du CA)).
Les lettres d’engagements des actionnaires ainsi que les statuts, et une version du document de soumission A signée par le coordinateur de projet, le responsable légal de son organisme ou établissement de tutelle, ainsi que par les différents actionnaires devront être scannés et être envoyés par courrier électronique à l’adresse engagements-satt@agencerecherche.fr avant le 31 janvier 2011 à minuit, la date et l’heure de réception faisant foi
Claire Bornais
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