Parcoursup : diverses infos locales et nationales
Les conseils de classe examinent actuellement les voeux de formation post-bac des lycéens de terminale, formulés dans la nouvelle application parcoursup qui a remplacé la plate-forme APB.
À partir du 4 avril, et jusqu’au 18 mai, les établissements d’enseignement supérieur devront examiner les dossiers de candidature concernant leurs formations et remplir l’application parcoursup avec les réponses à donner aux lycéens.
Qui va faire le travail ?
La direction de l’université de Lille a annoncé dans une note de début mars, rédigée à l’issue de réunions avec les directions de composantes et les responsables de licence, que les commissions de tri (pardon, "d’examen des dossiers" de candidature à l’inscription dans une formation) seraient "présidées par les responsables de mention/portail et composées a minima des responsables de parcours et/ou d’année."
Le SNESUP-FSU rappelle que, contrairement à ce qui est affirmé aux collègues par la vice-présidente CFVU (et peut-être par d’autres responsables universitaires), cette tâche ne constitue pas une obligation pour les collègues qui ne souhaitent pas participer du renforcement du tri social induit par Parcoursup et/ou ne voient pas l’intérêt d’effectuer un travail inutile, dans une période où les examens et incessants dossiers de recherche de financements divers suffiront peut-être largement à tromper l’ennui notoire des agents publics... Voir notre fiche récapitulative des droits et obligations pour les enseignant.e.s-chercheur.e.s et celle pour les enseignant.e.s PRAG-PRCE
Le SNESUP appelle les collègues à ne pas participer à cette sélection qui avance masquée, et à discuter dans les départements des modalités de la combattre
Certaines universités ou départements de formation ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne feraient pas ce tri
Bordeaux Montaigne : la présidence a fait savoir sa position : " il nous paraît contre-productif de demander aux collègues enseignants et Biatss de l’établissement d’effectuer des tâches qui ne serviraient finalement à rien" En savoir plus
Lorraine : Certaines UFR (SHS-Nancy notamment) ont déclaré qu’elles ne feraient pas de classement. L’université de Lorraine rend cela possible :
- Les UFR concernées s’engagent à accepter tous les candidats.
- Le classement des candidats sera généré de façon aléatoire (pas d’info sur la méthode), mais tous ceux qui le voudront seront acceptés
- Pour permettre que tous les candidats obtiennent un « Oui » sans personne en attente, la donnée d’appel sera établie en adéquation avec le nombre de candidats.
Université de Lille : les départements de sciences politiques, et de sociologie ont fait savoir leur opposition à ce tri et ne le mettront pas en oeuvre
voir toutes les infos qui nous sont parvenues sur le site du SNESUP-FSU
Du tri, mais pour quoi faire ?
Extraits de la note de l’université de Lille sur la mise en oeuvre de la loi ORE (CAL= capacité d’accueil limitée)
"Pas de baisse des CAL par rapport aux admis de 2017
Augmentation des CAL dans les 12 filières sous tension (+ 450 L, +100 DUT)"
"Les formations de licence n’étant pas sélectives : les réponses possibles sont « oui », « oui si ». Quand le nombre de candidatures dépasse le nombre de places (ce qui est le cas de la quasi-totalité des formations de l’université), les autres réponses possibles sont « oui en attente » et « oui si en attente ». Ces réponses concernent toutes les filières, qu’elles soient sous tension ou pas."
Les étudiants se voyant admettre en licence avec un "oui si" parce qu’ils ne maîtrisent pas tous les attendus doivent accepter pour être inscrits des "dispositifs d’accompagnement pédagogique" ou "parcours de formation personnalisé" (article L612-3 du code de l’éducation).
Mais, bien que ce soit aussi une obligation de la loi, curieusement, la direction de l’université assume ici parfaitement qu’il n’y aura pas de mise en place systématique de parcours adaptés dans les formations de l’université de Lille avant un bon moment :
"La mise en place de ces parcours se fait, dans la mesure du possible, dès la rentrée 2018 (pour les formations ayant déjà des dispositifs prêts, ex. SESI, SVT, Economie-gestion, Sociologie, LLCER, Philosophie) et dont les taux d’encadrement permettent de le faire. Sinon, les parcours adaptés seront mis en place à la rentrée 2019 ou au plus tard en 2020 (après avoir été intégrés dans l’offre de formation 2020-2024)."
Pas de moyens spécifiques, donc, pour les pour parcours adaptés à la rentrée prochaine, c’est clair. On se demande bien comment les taux d’encadrement des filières prétendant pouvoir ouvrir un parcours adapté dès la rentrée 2018 permettront de le faire à coût constant, alors que l’individualisation des parcours engendre généralement des surcoûts par nécessité de combler des lacunes et d’assurer un suivi plus personnalisé. En effet, le nombre d’heures complémentaires assurées dans l’université et dans certaines de ces filières est déjà massif. Or il n’est pas du tout sûr que des éventuels postes vacants dans les disciplines correspondantes seront pourvus dans les années à venir, pour raisons d’économies à faire dans les budgets 2018 et 2019 de l’université de Lille, mis à mal par les surcoûts induits par la fusion et non compensés par l’État.
Quelques moyens nouveaux sont bien annoncés par le ministère, mais ils ne sont destinés qu’à absorber (partiellement) l’augmentation des capacités d’accueil (par rapport aux effectifs constatés en 2017-2018), et pour indemniser le travail supplémentaire induit par le tri des dossiers, pas pour mieux accueillir les étudiant.e.s ne maîtrisant pas suffisamment les "attendus". Donc au mieux, la situation ne sera pas pire que cette année en terme de taux d’encadrement... sauf si le gel de postes pour raisons d’économies à réaliser vient finalement le faire baisser.
Et pour les années suivantes, les moyens ne sont pas garantis puisqu’ils dépendent d’une réussite à un appel à projet national, auxquelles candidateront vraisemblablement toutes les universités (le contraire serait étonnant) :
"La réponse en cours à l’AAP du PIA 3 – Nouveaux cursus à l’Université (échéance 29 mars) inclut, dans les modèles de formation prévus, les dispositifs précités et devrait permettre leur financement à 10 ans, si l’Université de Lille est lauréate du projet."
Et si elle ne l’est pas, comment financera-t-on les parcours adaptés à l’université de Lille ?
Enfin, en application de la loi qui prévoit du suivi individualisé, le ministère prévoit de créer un "contrat de réussite étudiante", qui nécessite un suivi particulier des étudiant.e.s par des enseignant.e.s. Ce suivi est donc aussi une nouvelle obligation des établissements. Mais à l’université de Lille, ce travail ne sera pas forcément fait, ni reconnu de la même façon :
"Pour l’accompagnement des étudiants dans leur parcours de réussite en L1 (public des « oui si » en particulier, une dotation est accordée par le Ministère pour 2018 (un tiers de la dotation) et 2019 (année pleine). [...] Elle sera affectée aux composantes sur projet pour les formations qui mettent en place des dispositifs d’accompagnement des étudiants et des parcours adaptés."
Autrement dit, des dossiers supplémentaires de financement sur projet à remplir ! Ou comment continuer de faire baisser l’efficacité de l’université dans sa mission de service public, en consommant des heures de travail de personnels universitaires au montage et à l’examen de dossiers de financement pour une nouvelle obligation imposée par l’État...
Qu’adviendra-t-il des bacheliers admis nulle part à la fin de l’été ? Les recteurs leur découvriront-ils un goût pour les sciences ?
La loi prévoit que les bacheliers qui n’ont reçu aucune réponse positive à la fin de l’été pourront déposer une demande d’affectation par le recteur. Cette affectation se fera sur décision du recteur - qui n’aura pas besoin de l’accord de l’établissement pour inscrire ces étudiants - là où il reste de la place (donc forcément pas dans des filières qui les intéressaient) : ce sera toujours assez bien pour eux... Après tout, ils n’avaient qu’à être meilleurs au lycée ! (ou au collège, pour être orientés dans les bonnes filières de lycée !)
Oui, mais il n’a été créé cette année que 22000 places supplémentaires, alors que 40000 bacheliers nouveaux sont attendus. Comment faire ? Pas de problème, la ministre a une solution en vue :
Le 25 septembre 2017, Radio Classique :
Frédérique Vidal : "Il reste 100 000 places disponibles, dans des filières scientifiques notamment"
L’invité de 7h50 du 01 mars 2018 - France Inter :
Frédérique Vidal : "Il reste 100 000 places disponibles, dans des filières scientifiques notamment"
Si on y réfléchit bien,ça pourrait même faire d’une pierre deux coups : optimiser le remplissage prétendument incomplet des formations et, "en même temps", lutter en France contre la désaffection pour les sciences en faisant remonter les effectifs étudiants en sciences... Que du bonheur, non ?
Un tri surtout social ?
Juste un petit exemple, tiré d’un article du blog de Julien Gossa, collègue de l’IUT de Strasbourg (et donc grand habitué du tri des dossiers), sur educpros, où il s’interroge sur le sens de ce tri des dossiers de candidatures : l’objectif est-il d’évaluer les chances de réussite d’un lycéen dans une formation post-bac, ou son mérite scolaire décrit par des notes et appréciations à intégrer telle ou telle filière convoitée ? Sachant que les notes peuvent être assez variables d’un établissement à l’autre, comment cette donnée peut-elle être prise en compte ? Quelles sont les implications sociales d’une prise en compte du lycée d’origine dans un classement établi par une commission de tri ?
"En l’absence de bonne décision et de cadrage, un même dossier sera donc bonifié ou pas selon que l’examinateur connaît le lycée ou pas, pense que le lycée est bon ou pas, qu’il a décidé par lui-même de prendre en compte ce critère ou pas, etc.. Et cette évaluation ira jusque dans les appréciations : “turbulent” dans un lycée REP a-t-il la même signification que dans un lycée d’élite ? Et jusque dans les classes : 11 avec dans une classe qui a 6 de moyenne a-t-il la même signification que 11 avec 12 de moyenne ? Est-ce l’enseignant qui note plus sec, ou la classe qui est de moins bon niveau ? Faut-il classer les profs comme on devrait classer les lycées ? C’est sans fin…"
On observe déjà actuellement des surreprésentations d’enfants de CSP+ (catégories socio-professionnelles supérieures) dans les classes préparatoires aux grandes écoles, et d’enfants d’ouvriers dans les BTS. S’agit-il d’étendre ce tri social à l’ensemble des formations supérieures ?
Dans quel but ?
Les économistes atterrés voient dans la loi ORE un moyen d’arriver très rapidement à l’augmentation des droits d’inscription universitaires : lire pour cela leur article "En marche" vers la destruction de l’université.
Bien sûr, on nous objectera que ces collègues-là ont une vision "politique" de la réforme, et que leur analyse est biaisée par leurs convictions idéologiques personnelles (pas vraiment "main stream", en fait).
Mais Il n’y a pas que les économistes atterrés qui font le lien entre sélection et augmentation des droits d’inscription, les néo-libéraux aussi :
par exemple, l’économiste Robert Gary-Bobo (dont les travaux de recherche ont beaucoup porté sur l’augmentation des droits d’inscription et les modalités de financement à y associer), signataire de la tribune de soutien à Emmanuel Macron signée par 40 économistes, fait également ce lien organique entre les deux...
On le trouve dans sa contribution envoyée à l’équipe de campagne enseignement supérieur et recherche (ESR) de E Macron, révélée par les MacronLeaks début 2017, dans laquelle il expose les réformes qu’il propose de conduire dans l’ESR, à la demande de Thierry Coulhon, actuel conseiller de E Macron pour l’ESR. Il y dit par exemple :
"1. Ce qui serait souhaitable
1A. Réforme du financement de l’université : développer le crédit aux étudiants, augmenter les droits d’inscription. Le nerf de la guerre.
[...]
1B. Parachever l’autonomie : gouvernance ; fusions, carrières ; concurrence ; sélection à l’entrée.
Le maître mot est ici de réaliser une véritable autonomie (plus ou moins sur le modèle des universités publiques américaines, comme l’Université de Californie).
[...]
La liberté de sélection...et l’ « orientation »
Un complément indispensable des réformes proposées ci-dessus est la liberté pour tous les établissements d’enseignement supérieur de sélectionner leurs étudiants.
[...]
Instaurer la sélection mine de rien
Il faut instaurer la sélection sans faire de vagues en réglant du même coup la lancinante question du diplôme national [...]"
On commence peut-être bien à s’en approcher, non ?
sources :
la contribution de R Gary-Bobo
Le document de l’université de Lille (de début mars 2018) sur la mise en oeuvre de la loi ORE
Claire Bornais
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